Le coup d’envoi est donné. La quatorzième édition du Festival de danse et des arts multiples de Marseille a été inaugurée le 17 juin par un concert en plein air du groupe corse A Filetta. Et les organisateurs n’avaient pas fait les choses à moitié pour être à la hauteur de l’événement. D’abord en choisissant un cadre apaisant pour le public : dans une ambiance tamisée par les lumières de la ville, en plein air, sur l’Esplanade Bargemon, face à l’eau calme du Vieux-Port. Les spectateurs ont également pu profiter de plusieurs dizaines de chaises longues, mises à leur disposition afin d’apprécier le talent vocal d’A Filetta en toute sérénité.
Car on peut bien parler de talent vocal lorsqu’il s’agit de ce groupe maniant l’art polyphonique corse avec panache et modernité. Pourtant, aucun des membres du groupe n’a jamais pris un seul cours de chant : « Nous n’avons pas de formation musicale et vocale proprement dite. Nous n’avons pas non plus une hygiène vocale parfaite. Mais nous chantons depuis trente ans alors notre voix commence à avoir l’habitude de se fatiguer, et de se rétablir très vite », avoue Jean-Claude Acquaviva, membre du groupe.
En réalité, toutes les valeurs qu’incarne la musique sont représentées et défendues par A Filetta : l’écoute, le partage, la générosité, l’échange, le respect. Avec elles, c’est l’émotion, la chaleur et l’esprit des chants méditerranéens qui sont célébrés par A Filetta. Au sein du groupe, il n’y a pas de hiérarchie, par de chef de chœur, mais une réelle interdépendance entre les sept maillons d’une chaîne que personne ne souhaiterait rompre. L’harmonie vocale est rendue possible grâce à l’harmonie humaine. « C’est ce qui fait à la fois la difficulté et l’intérêt de notre musique : chacun doit s’abandonner au profit du collectif. » Alors le public est automatiquement porté. L’ensemble de la ville semble se taire pour laisser place à ces sept voix qui s’entremêlent.
Quant au répertoire, il reflète l’activité musicale du groupe depuis ces quinze dernières années, alliant l’authenticité du chant traditionnel corse à la force de textes plus contemporains, comme celui de Primo Lévi, témoin des camps de la mort : « S’il est impossible de comprendre, il est nécessaire de savoir et de faire savoir », a rappelé Jean-Claude Acquaviva face au public marseillais. Car si A Filetta défend avec fierté l’identité corse, le groupe revendique aussi son ouverture à d’autres influences artistiques : « Notre musique s’enrichit perpétuellement de nouvelles rencontres musicales. C’est le point central de notre démarche artistique. » A Filetta réserve d’ailleurs encore bien des surprises dans un avenir proche, avec entre autres un projet de collaboration avec des percussionnistes japonais. Et tout ceci ne se fait jamais dans le calcul, à l’image de la conclusion donnée par Jean-Claude Acquaviva à l’issue du concert : « Merci à vous de nous laisser la chance de faire de la musique en dehors des contraintes économiques, en dehors des contraintes marchandes. » Un bon résumé de la philosophie d’A Filetta.
Damien Deparnay / Photos JB Fontana