Ca fait 26 ans que vous faites ce métier, et longtemps en France. Quels liens gardez-vous avec le Québec ? Le Québec d'aujourd'hui est-il différent de celui d'hier ?
"Ca fait 26 ans que je fais ce métier, et 17 ans en France. Entre le Canada d'aujourd'hui et celui d'il y a 26 ans, il y a des différences oui. J'y retourne régulièrement mais là ça fait deux ans que je ne suis pas allé au Québec donc je m'ennuie beaucoup. Et à chaque fois que je rentre, ça a changé. C'est un pays jeune donc il change beaucoup plus que la vieille Europe qui a plus de difficultés à changer à cause du poids de son histoire.
La force de la France qui est aussi sa faiblesse, c'est qu'elle préserve extrêmement bien son histoire. A cause de ça elle a un pied dans le passé et un pied dans l'avenir, donc c'est plus difficile et plus dur pour la jeunesse qui veut entreprendre. Les vieux leur disent : "non non non Louis XIV, Napoléon, Henri IV, nos ancêtres les gaulois,...". Et comme il y a moins d'histoire aux Amériques on la crée maintenant."
"Quand je suis arrivé ici personne ne me ressemblait, et c'est le secret dans tout secteur."
C'est plus facile de percer au Québec du coup ?
"Excellente question, je ne sais pas quoi vous dire. Quand je suis arrivé ici personne ne me ressemblait, et c'est le secret dans tout secteur. Si tu es différent des autres tu vas attirer l'attention. J'étais au bon moment, au bon endroit avec les bonnes personnes. En même temps j'avais une patate d'enfer, l'envie de tout casser, la fougue de la jeunesse, il m'en reste encore ! Quand je suis arrivé les gens pensaient que j'avais inventé mon personnage, mon nom. Les français se disaient : " mais euh il n'y a pas de noirs au Québec, c'est pas possible ! C'est quoi ce nom ?".
En plus mon nom est irlandais j'avais les locks, les gens n'y croyaient pas mais ça a pris très vite. Je ne sais pas quoi vous répondre est-ce que c'est plus facile au Québec ? Au Québec il y a énormément d'humoristes et de talents dans un petit marché. Je pense que c'est aussi difficile là-bas qu'ici.
Je crois par contre qu'aujourd'hui c'est plus difficile et plus facile. Avec internet tout se démocratise donc il y a beaucoup de gens qui n'auraient jamais été connus aussi vite, et qui grâce à internet sont devenus connus en six mois. Sauf qu'à l'époque il n'y avait pas beaucoup de médias. Il y avait trois télés donc tu passais à TF1 et le tiers de la France te voyait. Tu passais une fois à TF1 et tu avais une pub d'enfer. Là tu as des mecs qui ont créé une nouvelle façon de consommer de l'humour, les youtubeurs qui ont une idée le matin, qui l'enregistrent et la mettent en ligne deux heures après. Et ils font plus d'audience que la télévision.
Il y a du pour et du contre, il y a aujourd'hui des avantages énormes qu'on n'avait pas à l'époque. A l'époque il fallait aller voir des producteurs, il fallait qu'ils croient en toi, là les mecs ils ont pas forcément besoin de producteurs c'est je poste les dates et la tournée est complète parce qu'il y a 17 millions de personnes qui regardent."
Internet est très fédérateur...
"Internet est très fédérateur et il y a deux générations qui sont nées avec ça et qui manipulent tous les outils, qui partagent tout. Dans les lycées dès qu'un truc fait buzzer ça part comme une traînée de poudre, tout le monde se l'envoie. Ca bouge beaucoup plus vite. Mais il y a un avantage énorme, et un désavantage, ça fait un public kleenex. Un public qui consomme et qui jette, qui veut toujours des choses nouvelles et qui est peut être moins fidèle. On verra ce que ça va donner dans 5 ans, on verra si ils sont toujours là dans 5 ans. Parce que ce public là est plus jeune et change d'avis plus facilement."
"Une carrière c'est un marathon, c'est pas un sprint donc le but c'est d'être là."
Votre public vous a été fidèle ?
"Il y a eu des transitions avec le temps, parce que j'ai fait beaucoup de choses. J'ai aussi arrêté la scène pendant 5 ans. Effectivement pendant ces 5 ans j'ai perdu une partie de mon public, et j'ai séduit un autre public. Une carrière c'est un marathon, c'est pas un sprint donc le but c'est d'être là. Ce qui est bizarre c'est que des gens en cours de route quittent le bateau puis reviennent. Là il y a beaucoup de gens du début qui reviennent en ce moment. C'est assez intéressant. Ceux qui ont entre 30 et 35 et qui disent "quand j'avais 12 ans, quand tu étais un youtubeur de l'époque je kiffais, je regardais la cassette". Mon premier spectacle était sur cassette !
Le public a beaucoup évolué, j'ai la chance d'avoir un public très large. Le noyau a entre 25 et 50, autant d'hommes que de femmes, ce sont souvent des couples. Mais j'ai aussi des plus de 50 ans et des ados, notamment arrivés avec vendredi tout est permis et Danse avec les stars. "
C'est compliqué de parler à tout le monde ?
"Oui c'est pas évident. Certains préfèrent cibler, mais je suis dans une tranche d'humoristes qui parle aux 30-50 et on doit être 2.000 là-dedans. Il y a énormément de monde dans le terrain de jeu. Ceux qui parlent aux ados sont très seuls alors le gâteau est immense et ils sont seuls à le manger. Eric Antoine, Messmer, ils sont seuls à faire ça. Kev Adams était le seul à parler aux ados au début, et c'était très bien parce qu'ils en avaient besoin. J'ai arrêté temporairement parce que je savais plus de quoi parler. On n'a pas le luxe de refaire nos tubes des années 90, il faut se renouveler sans cesse.
C'est ce que je fais dans mon nouveau spectacle où je parle plus de moi. J'ai réalisé que les gens ne me connaissaient pas et c'est de ma faute, parce qu'il y avait un personnage public et je gardais ma vie privée très privée. Dans ce show je me dévoile plus, et donc il y a de l'humour et de l'émotion. Ma femme dit "enfin Kavanagh rencontre Anthony". Elle me disait qu'elle voudrait voir son mec à la maison sur scène. Donc je suis un peu devenu moi dans ce spectacle là. "