Il y a plusieurs années de cela j’avais proposé qu’on place une nouvelle fête dans nos calendriers civils et religieux. Aux côtés de la Pâques (chrétienne ou juive), je souhaitais voir figurer une fête de “pas que”, une journée par an où l’on se souviendrait qu’on n’est “pas que”... Pas que juif, pas que musulman ou chrétien, pas que français, pas qu’homme ou femme. Tandis que nous étouffons sous les assignations communautaires, les obsessions identitaires, et tout ce qui nous enferme avec “les nôtres”, il m’est soudain apparu qu’un homme détenait une clé pour nous faire penser. Cet homme s’appelle Ajar, à moins que cela ne soit pas son nom et qu’il n’ait jamais existé. Il est l’homme qui n’est jamais “que” ce qu’il dit qu’il est. Est-il l’auteur ou la victime d’une manipulation littéraire ? J’ai imaginé que cet homme/fiction littéraire avait donné naissance à un être qui nous parle aujourd’hui de politique et de religion, de la force de la littérature ou de la vulnérabilité de nos narcissismes.
Ajar nous rappelle une évidence : nous sommes les enfants des livres que nous avons lus et des histoires qu’on nous a racontées, bien plus que de nos identités d’origine. Voici le monologue d’un homme qui a lieu dans ma tête ou dans la vôtre et qui nous dit qu’on n’est pas “que nous”.
Delphine Horvilleur
Il n’y a pas de Ajar m’invite précisément à me quitter, à quitter mon identité, “à partir de moi”, à partir à la découverte de ce que je connais et de ce que j’ignore encore de moi-même. Il s’agira donc d’engendrer un corps, des visages, une voix nouvelle, pour échapper à la fixation. Je veux sortir de la claustrophobie de ma propre image afin d'entrer en relation avec l’autre. Abraham Ajar est un être intermédiaire, indéfinissable, une surface neutre où tous les âges et visages peuvent s'inviter. Delphine Horvilleur repousse toujours les limites, pour convoquer plus grand que soi, pour faire surgir autre chose que ce que nous croyons être. Elle invite tous les spectateurs, croyants, non-croyants, à s’exiler d'eux-même, à partager sa vision d'un théâtre qui parle de notre époque, avec humour, en se penchant sur le passé pour mieux construire demain.
Johanna Nizard
Delphine Horvilleur
Mise en scène Johanna Nizard, Arnaud Aldigé
Avec Johanna Nizard
Durée 1h15
Infos/billetterie en ligne : www.tnn.fr