Depuis plus de trois mille ans, les ama, « femmes de la mer » japonaises, peuplent les rivages de l’archipel, plongeant en apnée à la recherche d’algues et d’ormeaux. La place à part qu’elles occupent dans l'imaginaire nippon, leur lien sensuel à l’eau, leur intrépidité et leur souveraineté ont, au fil des siècles, fasciné les poètes et les artistes. Le photographe japonais Uraguchi Kusukazu, originaire de Shima (préfecture de Mie), sur la côte du Pacifique, a consacré plus de trente années à documenter la vie des ama de sa région, sous ses aspects les plus divers : plongées en eaux profondes, récoltes près du rivage, portraits, scènes collectives sur la plage et dans l’amagoya – espace de repos exclusivement féminin –, relation quotidienne au shintoïsme, culminant en été au moment des fêtes matsuri (fêtes d'été). Ses photographies mettent en lumière les pratiques séculaires des ama tout en capturant leur énergie de chaque instant. Nourri par leur vitalité et la confiance qu’elles lui ont accordée, il a développé un langage visuel marqué par l’intensité et l’expressivité : noirs et blancs contrastés, décadrages, gestes saisis dans leur spontanéité ancrent les ama dans leur époque – les années 1970 et 1980 principalement – tout en rendant hommage à leur féminité puissante et assumée.
Riche de plusieurs dizaines de milliers de photographies consacrées au sujet, l’archive de Uraguchi est restée inexplorée depuis son décès. Elle est au départ d’une exposition inédite, qui nous mène à la rencontre de femmes hors du commun dont l’interaction harmonieuse avec leur environnement constitue aujourd’hui une source d’inspiration. Cette redécouverte permet aussi d’aborder la photographie japonaise par le biais d’un des aspects essentiels de son histoire, celui de la pratique amateur dont Uraguchi, par son engagement dans divers réseaux de photo-clubs, fut un extraordinaire représentant.
Sonia Voss
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